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Les émotions

Etape fondamentale

​Les jeunes enfants peuvent être extrêmement déconcertants tant ils paraissent parfois dépassés ou débordés par leurs émotions. Nous, adultes, pouvons avoir du mal à savoir comment réagir et nous sentir à notre tour débordés par nos propres émotions. Heureusement, nous sommes aujourd'hui mieux informés sur les étapes normales du développement dans ce domaine, et donc mieux armés pour ne pas répondre en miroir aux comportements « fous » de nos bambins. 

La première chose à considérer, c’est que nos enfants DOIVENT passer par un apprentissage monumental avant d'en arriver à devenir des petites personnes posées, réfléchies, capables de contenir leurs émotions débordantes et d'exprimer ce qu’ils ressentent avec des mots. Ça n’est absolument pas inné. 

Représentez-vous votre enfant depuis le début : un petit être tout neuf, sans défense, qui va très vite commencer à se manifester, exprimer ses besoins avec plus ou moins d'intensité, en fonction de tout un tas de facteurs extrêmement variés, comme son état de santé, son tempérament, ses ressources et les vôtres. Notre capacité à entendre les besoins de nos tout-petits, puis à y répondre de façon ajustée, fait donc partie intégrante de l’histoire qui s’écrit entre eux et nous. Notre enfant pourra se sentir compris et rassuré, ou à l'inverse inquiet, si nous répondons à côté ou pas du tout à ses besoins, et il aura alors plusieurs options, comme persister et tenter de se faire comprendre à nouveau, ou renoncer et se mettre en retrait. Cela dépendra souvent de la récurrence de ce « défaut d’ajustement », bien humain et primordial dans une juste mesure. En effet, la question n’est absolument pas de répondre systématiquement avec une justesse et une précision infaillible, car cela empêcherait le bébé de percevoir progressivement qu'il est différent de nous. Les "couacs" dans nos réponses sont essentiels pour cette différenciation. Alors restons heureusement imparfaits ! En revanche, l’attention bienveillante portée à son enfant, même lorsque l'on ne le comprend pas, est tout aussi déterminante pour établir un lien tranquillisant et sécurisant. Cet ajustement primaire est le lot de toutes les dyades et triades parents-enfants. Il donne le ton de la relation. 

Savoir déléguer et s’appuyer sur d'autres quand on est soi-même débordé peut être une ressource précieuse. Nous ne sommes ni tout-puissants, ni surhumains, et c’est un message important à transmettre à nos enfants. Mais pour déléguer, il faut être suffisamment rassuré par ceux qui vont prendre le relais, et accepter les inévitables différences qui existent entre eux et nous. Deux parents n'interviendront pas de la même façon auprès de leur enfant, et fort heureusement. C’est ce qui permettra à ce dernier de développer des compétences importantes pour faire face à la diversité des relations sociales et pour apprendre à faire avec différentes personnes, en toute confiance, et donc en sécurité. Ces sentiments de confiance et de sécurité doivent d’abord être portés par les personnes à qui il se réfère, pour qu'il puisse se les approprier. 

S'il se sent en sécurité, et tant qu'il trouve de la cohérence et du respect dans les attitudes des adultes qui s’occupent de lui, un enfant se débrouillera très bien. Si la première période d'ajustement relationnel permet d’instaurer une communication de base relativement satisfaisante, il sera ensuite souvent plus simple d'aborder les étapes suivantes. Car un enfant se confronte peu à peu à une quantité d’apprentissages tous aussi précieux qu'énergivores. Il va déjà devoir faire face à la dure mais imparable réalité qui garantira l’avènement de l'être autonome en devenir qu’il représente : il ne fait pas qu’un avec son parent et il est une personne à part entière ! 

Ce passage du sentiment de fusion à l'état de différenciation apporte son lot d'angoisses à l'enfant, et nécessite une présence soutenante et rassurante. Fort heureusement, cette inquiétante réalité a des avantages extrêmement intéressants en contrepartie : l’autonomie et la liberté. Le travail de séparation est ainsi (ré)compensé, si tant est, bien sûr, que ses figures d'attachement se réjouissent de cette évolution. Durant cette période, il faudra donc souvent rassurer, soutenir, s’émerveiller, pousser vers, mais aussi limiter. Il faudra supporter le « non », signe de l’opposition fondamentale propice à l’individuation et à l'affirmation de soi, tout en posant un cadre clair. Il faudra supporter de ne plus être le centre unique de l’attention et permettre l’ouverture de l’enfant – par nature curieux – au monde, à l’entourage, de sorte que le message transmis véhicule l’idée que cette ouverture et cet intérêt sont essentiels à la construction de soi, et amène potentiellement beaucoup de joie. Pour que le monde fasse envie et non pas peur. 

Arrive ensuite plus précisément un stade du développement souvent très éprouvant pour tout le monde. Cette étape, qui débute en général aux alentours de 2 ans, varie beaucoup en durée et en intensité d'un enfant à l’autre, encore une fois en fonction de facteurs riches et variés : son tempérament, la période précédente et la façon dont il a déjà été accompagné dans le développement de ses compétences émotionnelles, mais aussi ses désirs, ses besoins, la santé psychique de la famille et du couple, la disponibilité des parents, l’entourage, son vécu quotidien, et toujours les ressources parentales. Certains enfants auront besoin d’exprimer fortement leur personnalité, d'autres beaucoup moins. Mais dans tous les cas, il est primordial pour l’enfant de commencer à identifier et à exprimer ses désirs, ses refus, ses incompréhensions, ses désaccords, et pour cela il est important qu’il y soit autorisé. La façon dont ses parents laissent l’enfant s'exprimer – tout en posant les limites de base, tout aussi essentielles – va lui permettre de développer sa confiance en soi et de laisser émerger sa personnalité, avec tout ce qu’elle comporte d’unique et de subjectif. 

Alors concrètement, ça donne quoi ? Si je devais résumer, je dirais qu’il faut déjà accepter l’idée que nous sommes, en tant que parents, à une place très ingrate mais essentielle pour nos enfants : nous les frustrons à longueur de temps. Ensuite, il faut tenir le choc face aux débordements et aux "crises", et toujours se rappeler que c’est TEMPORAIRE. Attention, tenir le choc ne veut pas dire subir la situation en ayant le sentiment d'être totalement démuni. Non, tenir le choc nécessite ici de faire appel à toute notre créativité personnelle, de trouver nos propres ressources, d’imaginer nos propres solutions, de nous outiller. Et les « outils » à disposition sont très variables : s'appuyer sur sa famille, ses amis, ses collègues, se soutenir au sein de son couple, lire des ouvrages ou des articles sur le sujet, participer à des groupes de parole ou d'entraide, en parler à un médecin, un pédiatre, un psy. Et puis, prendre soin de soi, de son couple, s'octroyer des moments de respiration pour prendre du recul et retrouver de l'énergie. L’idée est d'avancer pas à pas en envisageant la situation comme un apprentissage pour tous. On se découvre au jour le jour en tant que parent, et nos enfants nous amènent à nous confronter à des aspects de notre personnalité que nous ne connaissions pas jusque-là. Ils nous mettent à l’épreuve en termes de patience, de tolérance, d’écoute, de compréhension, de limites. Et nos réactions sont intimement lié à notre propre vécu, nos attentes, nos craintes, nos angoisses, nos désirs, nos représentations : comment avons-nous été nous-mêmes accompagnés dans ces différentes étapes ? Qu'en savons-nous ? Que nous en a-t-on dit et que nous en dit-on encore ? Nos enfants nous permettent d'apprendre à mieux nous connaître. N'est-ce pas déjà une perspective réjouissante ?

Le rôle de l'entourage est aussi très important dans l'appréhension des états émotionnels de nos enfants. Quand il est respectueux et bienveillant, c'est une richesse qui soutient la confiance en soi des parents eux-mêmes et les aide à accompagner au mieux leurs petits . À l'inverse, les réflexions qui tendent à fragiliser cette confiance en soi sont souvent mal vécues et délétères. C'est ce qui peut se produire, par exemple, de la part des générations précédentes. Un grand-père qui commente une crise de colère de sa petite-fille par un sarcastique « Elle tient de sa mère ! » aura un impact plus ou moins dommageable sur la situation, en fonction de la relation qu’il a avec sa fille et des ressources de celle-ci. Cela pourra être pris avec plus ou moins d’humour, plus ou moins de recul. Mais dans le pire des cas, cela pourra blesser et renforcer le sentiment d’impuissance ou la perte de confiance en soi de la jeune mère. De même, des grands-parents critiquant systématiquement les pratiques éducatives de leurs enfants, se mettant ainsi en position de rivalité, contribueront souvent à fragiliser la confiance en soi des jeunes parents et à renforcer un sentiment d’infantilisation bien peu constructif. 

Notre propre vécu, notre confiance en soi et en notre capacité à accompagner correctement nos enfants dans ces étapes cruciales, malgré les «essais-erreurs » inévitables et salutaires, auront un impact sur notre façon de réagir aux colères, aux angoisses, aux besoins de nos petits. Il ne faut pas hésiter à demander de l'aide aux personnes ressources - celles qui sont réellement aidantes - pour avancer. Il suffit souvent d’en parler une fois pour désamorcer une situation qui fait souffrir tout le monde. La parole est essentielle. C’est par elle que les solutions émergent, et c’est grâce à elle que les enfants peuvent passer progressivement de cet état de "petits monstres" émotionnellement instables à ces êtres merveilleux et (à peu près) équilibrés que tout parent a imaginé avant de se lancer dans la grande aventure de la parentalité. Mais en attendant, que d’émotions !

 © 2020 Raphaëlle Déliat

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